Voilà, mon travail de 5 mois au Centre Talibou
Dabo vient de se terminer, avec des au revoir touchants. J’avais envie de vous
partager quelques moments forts de mon stage, de mon expérience ici, et
quelques apprentissages significatifs que j’ai fait au cours de ces 5 mois.
D’abord, j’avais envie d’approfondir les
éléments culturels que j’ai pu apprendre, expliquant la place des personnes
handicapées au Sénégal. C’est, entre autre, lors d’une discussion avec un
collègue du centre que j’ai pu comprendre ce qui se cachait derrière les
difficultés pour les personnes présentant un handicap à s’intégrer dans la
société Sénégalaise.
On m’a expliqué que selon les traditions
animistes d’ici, l’enfant handicapé, c’est l’enfant de la faute. C’est donc le
parent, et bien souvent la mère qui est accusé d’avoir commis une faute,
entraînant les esprits mauvais à causer le handicap de l’enfant. Imaginez donc
la pression qui est exercée sur la famille, mais particulièrement sur la mère
lorsqu’elle apprend que son enfant est handicapé. Souvent, l’enfant est gardé
enfermé à la maison pour ne pas subir le regard et le jugement des autres sur
la famille. J’ai rencontré, entre autre, une jeune fille qui était restée à la
maison durant les 11 premières années de sa vie. À 12 ans, elle avait bien peu
de capacités sociales, motrices et cognitives. La mère nous a raconté qu’elle
avait eu de la pression de la part de son entourage pour ne pas la laisser
sortir, ne pas la montrer. C’est un enfant qu’on devait cacher.
Le premier recours des parents qui ont un
enfant handicapé à la naissance est bien souvent le marabout. Semble-t-il que
traditionnellement, le marabout expliquait à la famille que l’enfant n’était
peut-être pas le sien. C’était peut-être l’enfant de « l’autre ».
Pour vérifier, il recommandait à la maman d’aller déposer l’enfant sous le
baobab un peu éloigné du village, ou encore sur le bord d’un cours d’eau ou
dans la savane. Ils devaient laisser l’enfant là-bas un certain temps. S’ils
revenaient et que l’enfant avait disparu, c’est que celui à qui appartenait l’enfant,
« l’autre », était venu le chercher. À leur retour, s’il y était
encore, cette hypothèse de l’enfant de « l’autre » était rejetée. C’était
bien en raison de la faute de la mère ou du parent qu’était apparu le handicap
de l’enfant. Semble-t-il que ce sont des pratiques qui sont toujours en cours
dans plusieurs lieux au Sénégal.
La mère de la fillette dont je vous parlais
juste avant s’était un jour fait recommander une « technique de
réadaptation » qui était de creuser dans le sable et d’enterrer le corps
de la petite. Cela allait semble-t-il la guérir. Évidemment, elle ne l’a pas
fait… Enfin. Voilà quelques croyances présentes chez plusieurs personnes ici
qui rendent plutôt difficile le développement et l’intégration sociale de la personne
présentant un handicap dans la société Sénégalaise.
Ensuite, pour mieux comprendre le rôle de la
personne handicapée ici, il faut comprendre que dans la religion islamique
(prédominante ici), donner à quelqu’un qui en a le plus besoin est signe de
bonté. La religion encourage les gens à donner quotidiennement, c’est un devoir
et une façon de se valoriser. Il est particulièrement recommandé de donner aux
personnes handicapées et aux albinos. Au premier abord, c’est un très bon
principe! Par contre, il a quelques effets pervers... En effet, la personne
présentant un handicap devient particulièrement une bonne personne à qui donner
un peu de monnaie sur le coin de la rue pour accomplir les devoirs de la
religion. Toute cette dynamique entraîne une hiérarchie ou une dynamique
sociale qui fait en sorte que la place de la personne présentant un handicap ou
du noir albinos, c’est de mendier sur le coin de la rue. Comme ça, il peut
rapporter de l’argent à sa famille et les bons croyants peuvent accomplir leur
devoir de bonté : donner. Mais qu’en est-il de la personne qui présente un
handicap qui veut percer dans le marché du travail? On considère bien souvent
que ce n’est pas sa place. Il devrait plutôt aller s’installer au coin de la
rue et mendier. Pour percer, il faut de la persévérance et beaucoup de courage.
Bon ça, c’était le côté sombre de l’histoire. J’aimerais
toutefois vous rappeler qu’il n’y a pas si longtemps chez nous, toutes les
personnes qui présentaient une « déviance », un handicap ou une
différence (souvent déficience intellectuelle ou problème de santé mentale)
étaient mis à l’écart de la société, institutionnalisés. Il faut remettre en
perspective que cette exclusion sociale était peut-être différente de celle
vécue ici, mais chez nous aussi la stigmatisation est encore incroyablement
présente. Différemment d’ici et à un autre niveau, mais quand même présente.
(Fin de la parenthèse de : je ne veux pas porter seulement un regard
sombre sur ce qu’il se passe ici, c’est toujours bon de regarder des deux
côtés. Certaines pratiques de chez nous souvent cachées ou plus subtiles ont
tout de même de grandes répercussions pour les personnes atteintes d’une
maladie mentale ou présentant un handicap quelconque.)
Maintenant qu’en est-il de l’évolution par
rapport à tout ça? Et bien, j’ai eu la chance de rencontrer des gens formidable
au cours de mon séjour ici qui luttent contre cette stigmatisation. En effet,
le centre Talibou Dabo est un centre qui offre des services aux enfants
atteints d’un handicap moteur. Ainsi, le centre permet une scolarisation à ces
enfants qui sont souvent exclus des écoles régulières. En plus de cette mission
noble, le centre Talibou Dabo emploi plusieurs personnes présentant un
handicap.
J’ai eu la chance de travailler et de
développer une belle amitié avec une femme incroyable. Une femme présentant un
handicap moteur qui en est à sa 2e spécialisation en médecine et qui
travaille au centre. Elle est un exemple pour les enfants de l’école. L’exemple
d’une personne présentant un handicap, en plus, une femme, qui a pu poursuivre
de grandes études et obtenir un emploi influant dans sa société.
Deux autres employés du centre présentent
également un handicap moteur et se déplacent avec des béquilles canadiennes; un
enseignant et l’informaticien du centre. Le centre emploie aussi un
kinésithérapeute aveugle. Il utilise beaucoup ses mains pour remplacer sa
vision. Voilà quelques exemples de personnes présentant un handicap à Dakar qui
luttent par leur action à tracer le chemin pour les personnes présentant un
handicap à accéder au marché du travail.
J’ai aussi eu la chance de rencontrer une jeune
fille que j’ai trouvée particulièrement inspirante. Yoni, jeune fille de 17 ans
qui vient de terminer sa scolarité élémentaire. Elle présente une paralysie
presque complète au niveau des quatre membres. Cette jeune fille que j’ai pu
voir à quelques reprises a développé des capacités d’adaptation incroyables, et
a été sa propre ergo pour poursuivre les activités qui lui sont significatives.
Elle a appris à manier l’ordinateur pour étudier et maintenir son réseau social
en utilisant les petits mouvements de son bras droit qui lui sont possibles.
C’est avec l’articulation (IPP) de son petit doigt qu’elle contrôle la souris
de son portable et utilise un clavier virtuel qui lui permet d’écrire à
l’ordinateur. Autres activités impressionnantes : elle écrit et fait de la
peinture avec la bouche! Si vous êtes curieux, voici un lien vers un site
internet qui explique un peu sa biographie, ses œuvres, et présente des photos
d’elle.
(Pour mes collègues ergo qui paniquent à l’idée
de ce manque de confidentialité, le père et la jeune fille étaient bien contents
que je puisse parler d’elle et la faire connaître par l’intermédiaire d’un
blog!)
Bon, non seulement sa situation est impressionnante
mais, la jeune fille, à la recherche de financement et d’une école pouvant
l’accueillir à Dakar est passé à la télévision dernièrement. Elle a pris
l’occasion, non seulement pour rechercher des fonds pour l’aider à étudier,
mais également pour passer un message d’encouragement, de sensibilisation et
d’ouverture à l’égard des personnes handicapées à l’ensemble de la société
Sénégalaise. À 17 ans, elle comprend bien la place des personnes présentant un
handicap dans sa société. Ainsi, elle invite ses collègues à poursuivre leurs
rêves, à sortir du stéréotype de la personne handicapée qui mendie et à jouer
un rôle productif dans la société. Bref, très inspirante cette petite!
Donc, malgré le tableau bien sombre que j’ai
dressé au début de ce blog des croyances influençant la place que peuvent
prendre les personnes handicapées ici au Sénégal, il y a de beaux exemples, de
belles choses qui se mettent en place pour sensibiliser la population, aider
les personnes handicapées à prendre leur place, à être considéré égal à égal
avec une personne sans handicap.
Voilà un peu le topo sur la place des personnes
handicapées à Dakar et ce que j’ai pu saisir et vivre sur le sujet.
Sinon, la fin de mon séjour à Talibou Dabo a
été très positif! J’ai été très touchée que mes collègues de travail organisent
une petite cérémonie pour souligner mon départ. Une rencontre avec
remerciements officiels et une magnifique table dressée à mon honneur! Ça a été
l’occasion de prendre bien de belles photos avec mes collègues du centre!
Ensuite, ça a été la « descente », le
départ des enfants! Ils retournent à la maison dans les cars du centre.
En attendant que tout le monde soit installé dans les cars, quelques photos avec des collègues enseignants!
Ha oui… les normes du nombre d’enfant dans les bus n’est évidemment pas les mêmes que chez nous, vous pourrez le constater! ;)
Et je crois que je ne vous avais pas montré mon bureau de travail!
Voilà, c'est là que j'ai travaillé durant presque 5 mois!
Maintenant, c’est les vacances pour presque 2
semaines pour moi avant de commencer un nouveau travail pour 1 mois, dans un
nouveau centre, une nouvelle culture, une nouvelle langue à Kaya au Burkina
Faso! J
Portez-vous bien!!
Myriam