samedi 2 mars 2013

Au revoir à Talibou Dabo et quelques expériences


Voilà, mon travail de 5 mois au Centre Talibou Dabo vient de se terminer, avec des au revoir touchants. J’avais envie de vous partager quelques moments forts de mon stage, de mon expérience ici, et quelques apprentissages significatifs que j’ai fait au cours de ces 5 mois.
                               
D’abord, j’avais envie d’approfondir les éléments culturels que j’ai pu apprendre, expliquant la place des personnes handicapées au Sénégal. C’est, entre autre, lors d’une discussion avec un collègue du centre que j’ai pu comprendre ce qui se cachait derrière les difficultés pour les personnes présentant un handicap à s’intégrer dans la société Sénégalaise.

On m’a expliqué que selon les traditions animistes d’ici, l’enfant handicapé, c’est l’enfant de la faute. C’est donc le parent, et bien souvent la mère qui est accusé d’avoir commis une faute, entraînant les esprits mauvais à causer le handicap de l’enfant. Imaginez donc la pression qui est exercée sur la famille, mais particulièrement sur la mère lorsqu’elle apprend que son enfant est handicapé. Souvent, l’enfant est gardé enfermé à la maison pour ne pas subir le regard et le jugement des autres sur la famille. J’ai rencontré, entre autre, une jeune fille qui était restée à la maison durant les 11 premières années de sa vie. À 12 ans, elle avait bien peu de capacités sociales, motrices et cognitives. La mère nous a raconté qu’elle avait eu de la pression de la part de son entourage pour ne pas la laisser sortir, ne pas la montrer. C’est un enfant qu’on devait cacher.

Le premier recours des parents qui ont un enfant handicapé à la naissance est bien souvent le marabout. Semble-t-il que traditionnellement, le marabout expliquait à la famille que l’enfant n’était peut-être pas le sien. C’était peut-être l’enfant de « l’autre ». Pour vérifier, il recommandait à la maman d’aller déposer l’enfant sous le baobab un peu éloigné du village, ou encore sur le bord d’un cours d’eau ou dans la savane. Ils devaient laisser l’enfant là-bas un certain temps. S’ils revenaient et que l’enfant avait disparu, c’est que celui à qui appartenait l’enfant, « l’autre », était venu le chercher. À leur retour, s’il y était encore, cette hypothèse de l’enfant de « l’autre » était rejetée. C’était bien en raison de la faute de la mère ou du parent qu’était apparu le handicap de l’enfant. Semble-t-il que ce sont des pratiques qui sont toujours en cours dans plusieurs lieux au Sénégal.

La mère de la fillette dont je vous parlais juste avant s’était un jour fait recommander une « technique de réadaptation » qui était de creuser dans le sable et d’enterrer le corps de la petite. Cela allait semble-t-il la guérir. Évidemment, elle ne l’a pas fait… Enfin. Voilà quelques croyances présentes chez plusieurs personnes ici qui rendent plutôt difficile le développement et l’intégration sociale de la personne présentant un handicap dans la société Sénégalaise.

Ensuite, pour mieux comprendre le rôle de la personne handicapée ici, il faut comprendre que dans la religion islamique (prédominante ici), donner à quelqu’un qui en a le plus besoin est signe de bonté. La religion encourage les gens à donner quotidiennement, c’est un devoir et une façon de se valoriser. Il est particulièrement recommandé de donner aux personnes handicapées et aux albinos. Au premier abord, c’est un très bon principe! Par contre, il a quelques effets pervers... En effet, la personne présentant un handicap devient particulièrement une bonne personne à qui donner un peu de monnaie sur le coin de la rue pour accomplir les devoirs de la religion. Toute cette dynamique entraîne une hiérarchie ou une dynamique sociale qui fait en sorte que la place de la personne présentant un handicap ou du noir albinos, c’est de mendier sur le coin de la rue. Comme ça, il peut rapporter de l’argent à sa famille et les bons croyants peuvent accomplir leur devoir de bonté : donner. Mais qu’en est-il de la personne qui présente un handicap qui veut percer dans le marché du travail? On considère bien souvent que ce n’est pas sa place. Il devrait plutôt aller s’installer au coin de la rue et mendier. Pour percer, il faut de la persévérance et beaucoup de courage.

Bon ça, c’était le côté sombre de l’histoire. J’aimerais toutefois vous rappeler qu’il n’y a pas si longtemps chez nous, toutes les personnes qui présentaient une « déviance », un handicap ou une différence (souvent déficience intellectuelle ou problème de santé mentale) étaient mis à l’écart de la société, institutionnalisés. Il faut remettre en perspective que cette exclusion sociale était peut-être différente de celle vécue ici, mais chez nous aussi la stigmatisation est encore incroyablement présente. Différemment d’ici et à un autre niveau, mais quand même présente. (Fin de la parenthèse de : je ne veux pas porter seulement un regard sombre sur ce qu’il se passe ici, c’est toujours bon de regarder des deux côtés. Certaines pratiques de chez nous souvent cachées ou plus subtiles ont tout de même de grandes répercussions pour les personnes atteintes d’une maladie mentale ou présentant un handicap quelconque.)

Maintenant qu’en est-il de l’évolution par rapport à tout ça? Et bien, j’ai eu la chance de rencontrer des gens formidable au cours de mon séjour ici qui luttent contre cette stigmatisation. En effet, le centre Talibou Dabo est un centre qui offre des services aux enfants atteints d’un handicap moteur. Ainsi, le centre permet une scolarisation à ces enfants qui sont souvent exclus des écoles régulières. En plus de cette mission noble, le centre Talibou Dabo emploi plusieurs personnes présentant un handicap.

J’ai eu la chance de travailler et de développer une belle amitié avec une femme incroyable. Une femme présentant un handicap moteur qui en est à sa 2e spécialisation en médecine et qui travaille au centre. Elle est un exemple pour les enfants de l’école. L’exemple d’une personne présentant un handicap, en plus, une femme, qui a pu poursuivre de grandes études et obtenir un emploi influant dans sa société.

Deux autres employés du centre présentent également un handicap moteur et se déplacent avec des béquilles canadiennes; un enseignant et l’informaticien du centre. Le centre emploie aussi un kinésithérapeute aveugle. Il utilise beaucoup ses mains pour remplacer sa vision. Voilà quelques exemples de personnes présentant un handicap à Dakar qui luttent par leur action à tracer le chemin pour les personnes présentant un handicap à accéder au marché du travail.

J’ai aussi eu la chance de rencontrer une jeune fille que j’ai trouvée particulièrement inspirante. Yoni, jeune fille de 17 ans qui vient de terminer sa scolarité élémentaire. Elle présente une paralysie presque complète au niveau des quatre membres. Cette jeune fille que j’ai pu voir à quelques reprises a développé des capacités d’adaptation incroyables, et a été sa propre ergo pour poursuivre les activités qui lui sont significatives. Elle a appris à manier l’ordinateur pour étudier et maintenir son réseau social en utilisant les petits mouvements de son bras droit qui lui sont possibles. C’est avec l’articulation (IPP) de son petit doigt qu’elle contrôle la souris de son portable et utilise un clavier virtuel qui lui permet d’écrire à l’ordinateur. Autres activités impressionnantes : elle écrit et fait de la peinture avec la bouche! Si vous êtes curieux, voici un lien vers un site internet qui explique un peu sa biographie, ses œuvres, et présente des photos d’elle.
(Pour mes collègues ergo qui paniquent à l’idée de ce manque de confidentialité, le père et la jeune fille étaient bien contents que je puisse parler d’elle et la faire connaître par l’intermédiaire d’un blog!)

Bon, non seulement sa situation est impressionnante mais, la jeune fille, à la recherche de financement et d’une école pouvant l’accueillir à Dakar est passé à la télévision dernièrement. Elle a pris l’occasion, non seulement pour rechercher des fonds pour l’aider à étudier, mais également pour passer un message d’encouragement, de sensibilisation et d’ouverture à l’égard des personnes handicapées à l’ensemble de la société Sénégalaise. À 17 ans, elle comprend bien la place des personnes présentant un handicap dans sa société. Ainsi, elle invite ses collègues à poursuivre leurs rêves, à sortir du stéréotype de la personne handicapée qui mendie et à jouer un rôle productif dans la société. Bref, très inspirante cette petite!

Donc, malgré le tableau bien sombre que j’ai dressé au début de ce blog des croyances influençant la place que peuvent prendre les personnes handicapées ici au Sénégal, il y a de beaux exemples, de belles choses qui se mettent en place pour sensibiliser la population, aider les personnes handicapées à prendre leur place, à être considéré égal à égal avec une personne sans handicap.

Voilà un peu le topo sur la place des personnes handicapées à Dakar et ce que j’ai pu saisir et vivre sur le sujet.

Sinon, la fin de mon séjour à Talibou Dabo a été très positif! J’ai été très touchée que mes collègues de travail organisent une petite cérémonie pour souligner mon départ. Une rencontre avec remerciements officiels et une magnifique table dressée à mon honneur! Ça a été l’occasion de prendre bien de belles photos avec mes collègues du centre!

Les préparatifs de la petite cérémonie!

Et plusieurs photos comme ça avec les collègues venus souligner mon départ!


Ensuite, ça a été la « descente », le départ des enfants! Ils retournent à la maison dans les cars du centre. 
En attendant que tout le monde soit installé dans les cars, quelques photos avec des collègues enseignants!


Ha oui… les normes du nombre d’enfant dans les bus n’est évidemment pas les mêmes que chez nous, vous pourrez le constater! ;)



Et je crois que je ne vous avais pas montré mon bureau de travail!

Voilà, c'est là que j'ai travaillé durant presque 5 mois!

Maintenant, c’est les vacances pour presque 2 semaines pour moi avant de commencer un nouveau travail pour 1 mois, dans un nouveau centre, une nouvelle culture, une nouvelle langue à Kaya au Burkina Faso! J

Portez-vous bien!!

Myriam